"Tableau"

Cela ressemble à un volcan qui ne serait pas seulement plein de lave mais aussi de miasmes, de pustules, d’euphories plastiques, de libertés sexuées, d’images codées et d’autres reconnaissables.

Dans ce tableau bleuté, des formes contraires ou complémentaires agissent. Pour mon regard, c’est d’abord la vision d’un chaos. Impossible de savoir. De prédire. De discourir. Impossible d’être sûr de ce que je vois, de suivre un parcours cohérent.

Cet amas bouillonne. Il semble à la fois purulent et limpide, presque cristallin. Il est manifestement chargé de forces qui tentent de s’allier pour un combat qui a au-delà d’un simple jeu plastique.

Cette peinture est constituée d’un noyau lové dans un cocon.

Celui-ci, tiraillé par le noir et le blanc, agrippé à des formes elles-mêmes médusées par tant de forces qui de l’intérieur les tourmentent, accentue un tremblement perceptible à l’œil nu.

Ce tremblement est tel que les formes s’entrechoquent, ploient et annoncent la débâcle. Je pressens l’explosion de cette enveloppe, tourbillonnante et virevoltante devant celui qui regarde la peinture. Je suis stupéfait. J’ai les yeux qui brûlent à force de regarder, de chercher, d’être surpris aussi bien par l’enchainement des coups de pinceau que par les limites des formes impossibles à saisir.

Je distingue les références : l’histoire de l’art, des mythes, la culture, notre histoire humaine et ce qui nous est populaire. Je reconnais du savant, du dit et du non-dit.

Je regarde à nouveau le tableau.

Elisabeth peint une orgie sur le point de me péter à la figure.

Peut-être que cette orgie annoncée, ce magma prêt à exploser, ne finira pas dans le sang.

Peut-être que cet ensemble se volatilisera.

Avec une brutalité rare, elle peint mon chaotique.

De quel côté jaillira ce désordre irrésolu, en gestation ?

Ce trouble me comble, me laisse ivre d’hypothèses et d’incertitudes.

Mon regard est pleinement là. Mes sensations peinent à suivre. J’associe, je laisse tomber, je recommence, je me perds.

Je vois, je devine, je sais et je ne sais pas. Je cherche. Je ne vois pas tous les liens, je ne comprends pas vraiment ceux que je repère, tellement ce qui est là, dans ce tableau, est plein. Tellement l’ensemble de ces forces est trouble. Tellement le spectateur que je suis est au cœur de ce tableau qui ne trouvera sa synthèse qu’à condition que je la fabrique moi -même.

Luc Andrié

Texte extrait du livre Totchic – Elisabeth Llac, Till Schaap Edition – L’APAGE - 2016