Les choses d’ici-bas

Benjamin Husson Bernard Villers, Bernd Lohaus, Claire Lavendhomme, Florence Cats, Gary Farelly, Hugo Dinër, Emeline Depas, IŠTVAN IŠT HUZJAN, Jacqueline Mesmaeker, Jot Fau, Margaux Schwarz, Montaincutters, Nicolas Bourthoumieux, Olivier Stévenart, Pierre-Pol Lecouturier, Valérian Goalec

Livret d'Exposition (pdf)

 

 

Les Choses d'Ici-Bas est une exposition d'œuvres endommagées. Elles ont souffert après avoir été achevées, exposées, transportées, stockées. En fait, c'est peut-être leur statut qui est endommagé. Divers incidents les dénuèrent d’intentions premières : elles sont devenues autre chose que des œuvres d'art, un prolongement. Certains incidents furent plus difficiles que d’autres. Quelques travaux tombèrent. D’autres se fissurèrent, pourrirent. Certains ont été vandalisés, d’autres à peine touchés. Toujours quelque chose devait arriver.

Les Choses d’Ici-Bas n’est pas tant l’occasion de déplorer ces travaux que de se réjouir de leur infortune, ou du moins d’en sourire, avec certaine malice. Pour paraphraser Leonard Koren à propos de l’esthétique wabi-sabi, nous pouvons bien user d’œillères, mais tout s’usera en fin de compte, œuvres d’art tout comme réputations. Et nos œillères s’en trouveront aussi bien usées - à nous d’en embrasser le déclin. En apprenant, par exemple, l’une ou l’autre chose à propos de ce qui se passe en coulisse pour ces travaux. Qu'est-ce que cela fait d’être exposé dans une rue bondée, polluée ? Qu'est-ce que cela fait d'être détruit par son propre créateur? De voyager dans une camionnette délabré, ou d’être mangé par des vers ? Pourquoi donc m’avez-vous laissé dans cet entrepôt puant?

Les archives sont utiles pour garder l’ordre prévu des choses, dont celui des œuvres. Il y a quelque chose de captivant dans l’archivage – d’autant plus captivant qu’il s’agisse d’archiver ses propres choses. Imaginez donc les artistes des Choses d’Ici-Bas rayer les œuvres abimées de leurs registres, remplir des rapports d’assurance ou s’énerver contre des vandales. Que sont-ils exactement en train de faire?

La collection Guggenheim à New York nous a récemment donné à réfléchir.

Certaines de leurs œuvres ont été « décommandées ». Détruites, retirées des archives et des registres, et perdant du même coup leur qualité d’œuvres d’art. Celles-ci étaient des pièces de Donald Judd, réalisées – et vendues – comme de simples instructions pour fabriquer des sculptures. Elles donnèrent lieu à l’impasse d’un empêtrement législatif sans recours : véritable combat entre les détenteurs et l’artiste, du fait d’insatisfaisantes réalisations et de tempéraments explosifs . La collection Guggenheim a préféré les faire disparaître plutôt que d’en découdre. Ces travaux décommandés se trouveraient en parfaite adéquation dans Les Choses d’Ici-Bas.

Il existe une théorie philosophique selon laquelle les œuvres d'art sont des choses pourvues de relativité. Les œuvres d’art relatent de quelque chose ; réciproquement, ce qui ne relate à quoi que soit ne fait pas œuvre. Les Choses d’Ici- Bas en est un contre-exemple. L’exposition met bien à mal cette théorie : beaucoup de travaux qui s’y trouvent ne sont plus des œuvres d’art, et pourtant parlent de beaucoup de choses. Ils recèlent de relativité et maintes histoires. Il est possible que nous ayons à détruire cette théorie de relativité, ou du moins de la questionner.

Imaginez une pièce pleine de marteaux qui ne sont pas des marteaux. De quoi auraient-ils l’air? A quoi ressemblerait cette pièce? L’on pourra s’en faire une idée en se promenant dans la galerie DuflonRacz dans l'exposition Les Choses d'Ici-Bas, sauf qu'on n'y voit pas de marteau. Pour les philosophes, faire de telles expériences de pensée, comme celle des marteaux, sont des pompes à instinct. Ainsi devraient être Les Choses d’Ici-Bas.

Piero Bisello