Romain Poussin – «Broadway Paintings», 18 Avril – 5 mai 2018

Quel est ton parcours d’artiste?

Diplômé en 2010 aux Beaux-Arts de Rennes, j’ai choisi de concentrer mon attention sur des questions de peinture.

Comment en es-tu arrivé à produire ce type de polyptiques qui caractérisent ton travail actuel? Et en particulier cette série des Broadway Paintings?

C’est progressivement que ce dispositif s’est imposé à moi. J’ai depuis longtemps pris l’habitude de travailler en série. D’abord en constituant des corpus de peintures, chacunes uniques mais associées les unes aux autres par leurs dimensions, leurs compositions et leurs sujets. J’ai ensuite décidé d’introduire la duplication et enfin d’associer ses «doublons» les uns aux autres.
Aussi strict et protocolaire que ce choix peut sembler, il me permet au contraire d’expérimenter une très grande variabilité dans les contenus et les écritures picturales.
Les Broadway Paintings reprennent ce dispositif en y ajoutant une contrainte d’écriture: la couleur, ainsi qu’une dialectique picturale structurée entre la profondeur et le plan.

Je suppose que dans ce titre tu te réfères aussi à Mondrian?

Non, je suis beaucoup moins mélomane même si la syncope pourrait constituer une analogie possible à mon dispositif. En réalité, Broadway fait beaucoup plus référence dans mon esprit au spectacle au sens large, qu’à la musique à proprement parler.
Cela dit, je trouve très paradoxal le choix de Broadway par Mondrian quand on considère que c’est une des avenues les plus connues qui ne suit pas le plan orthogonal si emblématique de Manhattan.

Pour ma part, c’est plus cette idée de répertoire avec toute l’ambiguïté de ses acceptions entre les arts visuels et vivants qui m’intéresse dans l’évocation de Broadway.

Dans le polyptyque baigneurs-baigneuses la répétition des motifs, symboles et signatures nous entraine dans une suite d’analogies pouvant évoquer les thématiques ingresques et cézanniénne tout en les confrontant à l’Art Premier et ses ressaisissements par Man Ray notamment. Que pourrais-tu en dire et quelle serait sa place dans cette exposition d’après toi?

La présence de ce tableau dans l’exposition tient lieu de préface.
Ce qui m’intéresse dans la figure du baigneur, c’est son état intermédiaire, l’ambiguïté de sa situation dans l’histoire de l’art comme dans l’histoire sociale. Un genre charnière qu’on retrouve de l’académisme jusqu’à la peinture moderne. Retour à l’antique autant qu’une introduction à la future société des loisirs, le baigneur erre entre l’actif et le oisif, l’individu et le groupe.
Concernant les évocations que tu abordes dans ta question, elles sont effectivement visibles et mettent en jeu cette notion d’interprétation dans toute son ambiguïté.
Bons ou mauvais, nous sommes tous auteur-interprète d’une partition dont les termes sont fixés par une histoire culturelle et des processus dont on peut juste essayer de convoquer certaines contradictions. Dans le cas présent, c’est la question du colonialisme culturel et de ses stratégies narratives et formelles qui m’a intéressé. Entre expropriation, appropriation et acculturation, il y a en nous le colon et le colonisé qui se battent pour des espaces et des représentations dont les sens remontent peut-être bien plus loin que l’invention d’Instagram, qui sait.